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Biographie: 1938-1964, 1965-1968, 1969-1974, 1975-1980

 

1938-1964

    Né sous la protection de la Statue de la Liberté, à New York, le 5 novembre 1938, Joseph est fils d'une violoniste classique, Béatrice, dite Béa, qui travaille avec quelques grands de la musique classique, notamment Pablo Casals. Son père, Jules Dassin, est passionné par le cinéma. Assistant d'Hitchcock, après une courte carrière d'acteur, il devient metteur en scène. C'est ce couple uni, dans une Amérique qui va se venger de Pearl Harbour, qui donne deux soeurs à Joseph, Ricky, l'aînée, Julie, la cadette. Le petit Dassin grandit dans un "cocoon", plein d'amour. Jusqu'en 1940, ses balbutiements restent new-yorkais. Puis son père, fasciné par le septième art, décide de s'installer à Los Angeles, entre les studios de la mythique MGM à Hollywood et les plages du Pacifique. Dans cette ville américaine, où l'Asie et l'Europe ont tracé leur frontière, Joseph passe son adolescence jusqu'au jour où...

    Le monde bascule. Le second conflit mondial terminé, les accords de Yalta signés, le monde vit les conséquences de la "Guerre froide". Le face à face Est-Ouest. Les USA face à l'URSS, le capitalisme face au communisme. Le sénateur Mac Carthy, dans sa chasse aux sorcières, traque les sympathisants communistes. Jules Dassin, dont la notoriété croît, n'est pas vu d'un bon oeil. Très vite, il est accusé de sympathie pour Moscou. Fini le doux climat hollywoodien. C'est le temps de l'exil pour la petite famille Dassin. Fin 1949, dans la fumée d'un liner transatlantique, Joe voit s'éloigner dans les brumes du paquebot, le sol qui l'a vu naître. Désormais, aucune terre ne sera jamais plus la sienne.

    Lorsqu'il découvre la vieille Europe, Joe a douze ans. Nous sommes en 1950, et le vieux continent est en pleine reconstruction. Le plan Marshall et la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier) font les manchettes de la presse. Jules et Béa se sont installés à Paris. Joe, lui, est en Suisse, en pension au célèbre collège du Rosey. Chic et cher. Maigre l'exil, l'argent ne semble pas être un problème pour les Dassin. Joe fréquente Karim Aga Khan et les riches héritiers européens.

    Nombreux sont les changements d'établissements. En 1951, on le retrouve en Italie, en 1953, à l'Ecole internationale de Genève. Celle-ci l'envoie, en 1954 à Grenoble, passer son baccalauréat, ce diplôme n'existant pas en Suisse. Il a 16 ans et il est très beau garçon, avec une légère coquetterie dans l'oeil. Il parle trois langues et obtient son bac avec mention "bien".

    En 1955, les parents de Joe se séparent. Si le cinéaste reste sous les feux des projecteurs avec sa nouvelle compagne, l'actrice Mélina Mercouri, la violoniste préfère rester désormais dans l'ombre. Joe vit mal l'échec du couple de ses parents et décide de retrouver ses racines. Il regagne une Amérique où les universités ont un niveau encore inégalé. Quand il débarque aux Etats-Unis pour suivre des cours dans l'université d'Ann Harbor (Michigan), Elvis Presley a commencé la croisade pour le Rock'n'Roll. Joe ne semble pas vraiment touché par ce style musical. Loin des blousons noirs et des rebelles sans cause, d'un American Graffiti "live", en étudiant sérieux et appliqué, le jeune Dassin s'essaye à la médecine quelques heures. Trop sensible, il préfère se tourner vers l'ethnologie et le russe. Soucieux de continuer à parler plusieurs langues couramment, il vit avec deux copains francophones, un Français, Alain Giraud, et un Suisse, qui ne se doute pas qu'il deviendra le doyen de la faculté de Genève. C'est avec Alain que Joe fait quelques infidélités à sa table de travail. Armés d'une guitare sèche, alors que l'Amérique s'est "électrifiée", sans blouson de cuir, ni banane gominée, ils chantent en duo pour quelques "bottom dollars". Au répertoire de ce "duet", ni Elvis Presley, ni Eddie Cochran, mais tout simplement Brassens. Leaders d'un French Folk dont ils font une promotion locale sans égal, Joe et Alain chantent debout sur une échelle double, histoire d'être mieux vus par l'assistance. Dans cette ambiance de Pom-Pom giris, le duo francophone doit être un des premiers à avoir exporté la poésie de Brassens sur les campus américains. Ces récitals sont plus des boeufs ludiques, ponctuels qu'un travail régulier, et pour subsister, Joe doit travailler. Il n'en éprouve aucune frustration, car, dans l'Amérique de l"'affluent society" de J.K. Galbraith, c'est la tradition pour les jeunes Américains qui font tous de nombreux "student jobs". Testeur, livreur, camionneur, seront le lot de Joe pendant ces six années. Notre étudiant modèle trouve cependant le temps d'écrire une nouvelle, "Wade In Water", qui obtient un deuxième prix national.

    Douloureux présage : il est réformé et n'effectue pas son service militaire. Motif : souffle au coeur.

    Ses années d'Université sont aussi celles du triomphe planétaire de son père, devenu le grand Jules Dassin. En 1958, ce dernier lui demande d'enregistrer quelques thèmes de son film "La loi" avec Gina Loilobrigida, et notamment une tarentelle. Dassin. se retrouve sur un super-45 tours qui paraît chez Versailles en 1959. Ensuite, c'est le film "Jamais le dimanche" ("Never On Sunday"), en 1960. Un film, où la musique, et notamment la chanson "Les enfants du Pirée", par Mélina Mercouri, joue un rôle prépondérant. Quand Joe termine son doctorat en ethnologie, les années 60 sont bien entamées. Le Rock'n'Roll a conquis l'Amérique. Il est en passe de venir à bout de l'Europe.

    Diplôme en poche, il est temps, pour Joe, de se prendre en charge. De penser à l'avenir. Ce qui n'est pas facile pour lui qui est un artiste, comme ses parents, mais pas un rêveur. Pour l'heure, son futur est de l'autre côté de l'Atlantique, dans cette bonne vieille Europe où il a vécu ses joies d'adolescent. Sans argent, il s'embarque sur un bateau et rejoint l'Italie dans la soute d'un cargo. Nous sommes en 1962 et il a 24 ans. Comme il n'a pas encore envie de trouver un travail fixe, son père l'engage comme assistant sur le tournage de "Topkapi", son deuxième grand film à succès. La presse mondiale adore montrer le père et son fils sur le même plateau et dévoile le visage moustachu et très oriental du fils du cinéaste prodige. Avec cet argent facilement gagné, il s'achète une petite Triumph. Juste après, on le retrouve animateur à Radio Luxembourg et journaliste à Play-Boy alors que le mouvement yéyé français bat son plein.

    Le 13 décembre 1963 marque un tournant dans sa vie privée. Ce soir-là, il rencontre une jeune fille lors d'une des nombreuses soirées organisées par Eddie Barclay. Cette "party" a pour prétexte la sortie française du film "Un monde fou, fou, fou". Devant l'imposante architecture du Pavillon d'Armenonville, Joe est impressionné par le charme et la personnalité de la jeune fille. Son prénom ? Maryse. Ni l'un, ni l'autre, ne savent qu'ils sont partis pour dix années de romance. Quelques jours après la soirée au Pavillon, Joe invite Maryse Massiera en week-end au Moulin de Poincy à 40 kilomètres de Paris. Son but, la séduire. Ses moyens, le grand jeu. Là, dans l'intimité de la chaleur d'un feu de cheminée qui crépite, il lui chante "Freight Train", en s'accompagnant à la guitare. Ses cordes vocales associées à celles de la guitare sont irrésistibles, et il le sait. Son plan diaboliquement attendrissant fonctionne à 200%, et elle fond dans ses bras... Après ce week-end hors du temps, les deux amoureux vivent sur un nuage jusqu'aux fêtes de fin d'année.

    A partir du 6 janvier 1964, le jeune couple tire des plans sur la comète, de façon déterminée. Au bout d'un mois, l'idée de fiançailles, voire de mariage, est déjà dans l'air. Joe et Maryse s'installent chez la mère de Joe, qui vit à Saint-Cloud. La solution semble bien provisoire, mais les deux amoureux ne se posent pas tant de questions. Désormais, Joe écrit des nouvelles qui paraissent dans la presse et qui lui permettent de vivoter. Et même d'inviter Maryse pour quelques jours de ski en février à Zermatt. En Suisse. En rentrant, le couple prend peu à peu conscience des réalités du quotidien, et doit trouver une solution au problème du logement. Leurs économies regroupées, au printemps 1964, Joe et Maryse se mettent en quête d'un appartement. Comme tous les Américains, Joe a un faible pour Saint-Germain-des-Prés. Il opte pour le boulevard Raspail, en face du Centre américain. Le petit trois pièces au cinquième étage est bien loin des rêves de Joe. Qu'importe, c'est son premier logement et il le partage avec celle qu'il aime. Passionné par son nouveau rôle d'homme au foyer, il passe une partie de l'été à retaper le "nid". Très concerné par son rôle de chef de famille, il met les bouchées doubles. Pour arrondir les fins de mois, il double des films américains, écrit des articles pour Play-Boy et Thé New Yorker. Il tourne même dans "Trèfle rouge" et "Lady L.". Entre ces deux films, il est assistant-metteur en scène sur le tournage de "What's New Pussycat" ("Quoi de neufPussycat"). Sa guitare est sa passion, son plaisir du soir. Maryse partage avec lui ces moments d'émotion musicale, dont il ne songe, à aucun moment, tirer de quelconques ressources. La vie va en décider autrement.

    Depuis ses années de pensionnat, Maryse a une amie, Catherine Régnier. C'est avec cette dernière qu'elle a partagé ses peines et ses joies d'adolescente. En cette année 1964, Catherine est engagée comme secrétaire d'une maison de disques américaine tout récemment installée en France, au 42, rue de Paradis dans le Xème arrondissement de Paris, dans un bureau peu reluisant. La Columbia Broadcasting System, plus connue sous le sigle CBS, distribue timidement les disques d'artistes américains comme Barbra Streisand. Maryse entend Catherine lui parler de chansons, de disques, et ça lui donne une idée : avec la complicité de cette dernière, qui connaît un graveur (la personne qui - à partir d'une bande magnétique - transfère les enregistrements sur le sillon du vinyle), elle va offrir un disque à Joe. Comme on offre une eau de toilette. Un disque, dit "souple", à un seul exemplaire, sur lequel sera gravée la voix de l'homme qu'elle aime, qui chante "Freight Train" et qui fête ses vingt-six ans le 5 novembre suivant. Un disque qu'elle pourra écouter facilement en ces temps où le magnétophone à cassette balbutiant est encore un luxe.

    Un rendez-vous est pris pour la gravure du souple. Armée d'une bande magnétique sur laquelle est enregistrée la voix de Joe, Maryse débarque un jour d'octobre chez CBS. Dans cet appartement transformé en bureau de fortune, au quatrième étage sous des toits qui laissent la pluie s'infiltrer. Là où les bassines fleurissent à chaque orage, se joue l'avenir d'une des plus grandes carrières de la chanson française de variété. Maryse embrasse Catherine, celle-ci récupère la bande et promet de faire graver la chanson pour début novembre. Maryse sortie, la petite équipe plus habituée à distribuer les produits d'outre-Atlantique qu'à écouter des bandes de jeunes artistes français, voit en cet enregistrement une bonne façon d'animer la fin de la journée de travail. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, le staff dérobe la bande à l'étagère où elle était posée, branche un gros magnéto à bande, le met en marche et… ce qui n'était qu'un moyen de distraction devient vite l'objet de profondes réflexions. La voix du chanteur est chaude, son grain original, son sens du rythme évident. Et si au-delà du pressage unique, le disque sortait dans le commerce ? Si CBS-France au lieu de distribuer des stars américaines constituait son propre catalogue ? Le disque-cadeau est gravé et Catherine est chargée de convoquer Joe à un rendez-vous avec la petite équipe de CBS France. Comme cette histoire a pour but dé lui faire une (bonne) surprise, Joe ne sait rien de tout cela. Et la "surprise" de son anniversaire ne le met pas d'excellente humeur. Surtout quand il apprend que sa voix s'est promenée dans une maison de disques et que celle-ci veut le rencontrer pour le produire. Autant dire que, quand Catherine lui propose le rendez-vous chez CBS, la réponse ne se fait pas attendre. "Non" au rendez-vous, "Non" à une carrière dans la chanson : Joe ne sera jamais chanteur. D'autres se seraient contentés d'une telle fin de non-recevoir. Mais il en fallait plus pour décourager Catherine qui croit au talent de Joe. Elle revient à la charge cinq fois, dix fois... et réussit à le convaincre d'enregistrer un disque. Pour voir. Deux mois de persévérance ont raison du jeune rebelle. Quelques jours avant Noël, le bastion tombe. Joe abdique et signe. Il est la première signature française de toute l'histoire de CBS.

    Le 26 décembre, Joe est en studio avec l'orchestre d'Oswald d'Andréa. Avec de petits moyens, il enregistre quatre titres pour un super-45 tours à pochette glacée. A côté des inévitables adaptations de l'époque, deux chansons sont signées par Jean-Michel Rivât et Frank Thomas. Ces jeunes talents amorcent une collaboration avec Joe qui va rentrer dans la légende. Tout se fait vite, trop vite, aussi Joe a-t-il de la peine à croire en sa "bonne étoile".

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