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Montoto Ami
Inscrit le: 23 Aoû 2005 Messages: 72 Localisation: A côté de Feucherolles
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Posté le: Ven Oct 28, 2005 6:41 pm Sujet du message: L'Olympia un soir de 74 |
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Le récit qui suit est éloigné de plus de trente ans et l’enfant qui le relate s’excuse de ne pouvoir le rendre plus complet encore.
Nous étions beaux, habillés comme pour aller à la noce. On nous a placés à peu près au milieu de la salle sur la gauche. L’Olympia était comble, et je sentais une forme de traîtrise de la part de Joe : finalement je m’apercevais qu’il ne chantait pas seulement pour moi. Tous ces gens étaient venus pour lui, dans le même état d’esprit que moi, sans doute avec le même amour pour l’artiste. Des rivaux en quelque sorte.
Le brouhaha ambiant s’est arrêté avec l’extinction des lumières, comme si l’assistance était reliée au même interrupteur. Un roulement de timbales a chamboulé le silence qui commençait à s’installer et dans un bruit de fanfare le rideau s’est levé sur les musiciens jouant l’Amérique. Ce qui m’a d’abord frappé, c’est que le son n’avait pas le même équilibre que sur le disque que je connaissais bien évidemment par cœur. Peut-être m’étais-je imaginé que Joe chanterait en play-back.
J’avais beau chercher du regard mon idole, je ne le voyais pas plus que je ne l’entendais. J’ai regardé maman comme pour lui demander si on ne s’était pas faits avoir. Elle applaudissait en rythme elle aussi, le regard perdu vers la scène. Le morceau s’est terminé sans que Joe ne l’aie chanté et le groupe a enchaîné immédiatement « A chacun sa chanson ». Derrière nous, les ouvreuses qui applaudissaient elles aussi ont levé un bras vers la scène et crié « JOE…..DASSIN ! ». Je me suis tourné et je l’ai vu entrer par la droite de la scène sous les cris du public (que l’on entend parfaitement sur le disque). Oui il était quand même venu. Il était tout de blanc vêtu comme à l’accoutumée, ce qui me prouvait que c’était bien lui, même si je me trouvais trop loin pour le distinguer parfaitement.
Il a traversé la scène en saluant l’assemblée. Il a entonné la chanson et là il n’y avait plus de doute possible : cette voix, c’était bien la sienne, chaleureuse, distincte et parfaitement placée malgré le groupe qui continuait de jouer différemment du disque. Je n’ai pas eu le temps de m’en rendre compte mais le premier morceau était déjà terminé. « Salut les amoureux » a suivi. J’étais aux anges malgré le fauteuil trop grand pour moi, malgré la grandeur de mon voisin d’en face qui m’empêchait de profiter pleinement du spectacle.
« Le moustique » m’a fait une sacrée impression lorsqu’un trompettiste (Jean Hebrard, je crois) est descendu faire le solo, suspendu au plafond par un câble et déguisé en mexicain. J’ai compris que j’allais passer une soirée formidable.
A la fin du morceau Joe s’est assis sur une chaise, il a saisi un banjo, a dit quelques mots drôles puisque les gens riaient à ses blagues. « Non mademoiselle ce n’est pas une drôle de petite…guitare » (moi, j’ai cru entendre une drôle de petite…cuillère). Les morceaux qui ont suivi, je les connaissais par cœur sans pourtant en comprendre le sens. De temps en temps, je regardais maman qui me répondais par de larges sourires, puis recommençait à suivre le spectacle, hypnotisée elle aussi.
Il y a eu ce sketch du berger où Joe et Jean Hebrard jouaient de la flûte en soufflant par le nez, vous pensez bien que je me suis essayé dès le lendemain…et ça marchait !
Joe s’est ensuite assis au piano pour entamer son pot-pourri américain. Il a magnifiquement joué l’intro seul puis l’orchestre l’a rejoint. Ils ont joué des morceaux que je n’avais entendus sur aucun album mais que mes parents semblaient bien connaître puisqu’ils applaudissaient à tout va. Je dois avouer qu’aujourd’hui lorsque j’écoute un morceau de swing, j’ai toujours une pensée furtive pour sa prestation de ce soir de 74.
Nous sommes revenus ensuite sur un terrain familier avec des chansons que j’avais écoutées des milliers de fois sur mon vieux Teppaz.
Maman était toujours sous le charme, elle chantonnait et râlait après ceux qui chantonnaient à leur tour. Elle tapait dans ses mains, elle souriait.
« Fais moi de l’électricité » était encore un grand moment, où le morceau s’est arrêté alors qu’il était lancé aussi sûrement qu’un train dans les plaines du far-west. Joe venait de faire quelques pas de claquettes et tout à coup, plus de musique, plus de lumière. Joe a alors demandé à Bruno Coquatrix de payer la note…et la chanson est repartie. Moi j’ai vraiment cru qu’il y avait un problème et que la soirée allait se finir bêtement, mais non. Comme c’était bien imaginé tout ça ! Je n’en revenais pas, quel spectacle !
Le pot-pourri qui suivit était tout aussi déroutant. Ils commençaient des chansons et ne les terminaient pas puis enchaînaient immédiatement sur une autre. Je n’ai pas tout de suite saisi mais je me suis pris au jeu et j’essayais de deviner celle qui suivrait, mais rien à faire j’étais systématiquement surpris.
J’ai aussi le souvenir d’un numéro de lasso mais je ne parviens plus à identifier à quel moment du spectacle il a eu lieu.
Mon idole savait donc tout faire, chanter, danser, jouer de la guitare, du piano, du banjo, du lasso, il savait charmer maman, séduire la foule sans chanter la pêche aux moules.
Ensuite une petite fille est montée sur scène et Joe lui a dit un mot gentil. J’étais outré.
Comment avait-elle pu oser ? Quelle impudence ! Qui était donc cette petite effrontée qui osait venir déranger mon idole ? J’étais fou de rage…mais surtout de jalousie.
Aujourd’hui j’imagine une Nathalie bientôt quarantenaire avec ce souvenir comme un des plus grands moments de sa vie.
Joe a ensuite chanté l’Amérique et j’ai instinctivement compris que le spectacle prenait fin, c’est curieux non ? Il a salué, est parti en coulisse. Les gens ont applaudi encore plus fort. C’était une bonne idée car il est revenu en courant, mais il est reparti presque immédiatement comme s’il était revenu seulement parce qu’il avait oublié son tambourin. Les gens étaient debout, réclamaient une autre chanson, applaudissaient à tout rompre. Moi, je ne voyais plus rien qu’une forêt humaine, sombre et dense. Il est revenu, il saluait les gens au balcon, debout eux aussi. Les gens lui tendaient des bouquets de fleurs, il serrait des mains à n’en plus finir. Maman m’a tapé sur l’épaule et m’a dit « va lui serrer la main si tu veux ». Quelle bonne idée ! J’ai couru dans l’allée jusqu’à la scène et ma petite taille m’a rendu service en me permettant de me faufiler jusqu'à ce grand homme en blanc. Je n’oublierai jamais son visage illuminé de gouttes de sueur qui brillaient sous les projecteurs de l’Olympia comme mille paillettes. Il était beau, radieux comme un saint, un large sourire aux lèvres. Il était à quelques centimètres de moi, je ne vivais plus. Une dame derrière moi m’a presque poussé pour me forcer à lui serrer la main et moi je n’osais pas. Je ne me sentais pas digne d’un tel honneur.
Aujourd’hui encore je doute de cette poignée de main, l’ai-je vraiment serrée ? Etait-ce la sienne ? Ai-je tout simplement voulu ne pas décevoir maman en lui affirmant que Joe m’avait bien serré la main ? Ai-je rêvé cette poignée de main ? Toujours est-il que les jours suivants, je n’osais plus me laver les mains.
Je me suis assis sur le rebord de la scène, abasourdi par cette montée d’adrénaline et je regardais Joe saluer à n’en plus finir. Ce n’est que lorsque la salle s’est rallumée que je suis redescendu sur terre. J’ai regagné ma place et j’ai serré maman contre moi, submergé de bonheur et de tristesse.
De temps en temps, je réécoute le disque et je rouvre le tiroir de mes souvenirs. Je revois, je ressens tous ces sentiments restés intacts et je m’en délecte égoïstement. Je revois maman heureuse…
Il y a des choses, vous savez, qui semblent difficiles à faire partager. Il ne faut donc pas vous étonner si l’exercice que je viens de réaliser a mis trente ans pour voir le jour, mais il faut se rendre à l’évidence : Je ne pouvais le faire que pour vous qui êtes animés de la même passion que moi car, qui d’autre pourrait comprendre ? _________________ Cessez de vous pourir la vie vous même, d'autres s'en chargent déjà. |
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SandyMH Modérateur
Inscrit le: 09 Déc 2002 Messages: 693 Localisation: Russie
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Posté le: Ven Oct 28, 2005 8:31 pm Sujet du message: |
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Formidable... Il y a de quoi etre envieux!
En plus, c'est encore un texte qui prouve que les fans de Joe sont tres bien places pour parler de lui... bien ecrit, tres passionne et fascinant...
Merci enormement, je crois que tout le monde va me rejoindre... et je veux te remercier tres personnellement, car apres le livre de Lemesle j'avais un grand besoin de quelque chose de ce genre. _________________ It is the useless things that make life worth living.
(c) Stephen Fry |
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Kehlen Crow Ami
Inscrit le: 14 Déc 2004 Messages: 65 Localisation: Moscou, Russie
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Posté le: Ven Oct 28, 2005 9:41 pm Sujet du message: |
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Merci.
De tout mon coeur.
C'est fantastique! _________________ "Doc can danse?!". Marty McFly |
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ilovejoe Ami
Inscrit le: 02 Aoû 2005 Messages: 50 Localisation: Toulouse
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Posté le: Ven Oct 28, 2005 10:03 pm Sujet du message: |
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Wahou! Elle est trop bien cette histoire!!! |
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jean.alain.3 Ami
Inscrit le: 15 Mar 2004 Messages: 93 Localisation: vichy
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Posté le: Sam Oct 29, 2005 5:06 pm Sujet du message: |
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Merci beaucoup pour ce que tu viens de nous faire partager.Moi hélas je n'ai jamais vue Joe sur scene,et là,franchement,j'avais l'impression d'y être.Tu ne peux pas savoir le plaisir que j'ai eu à te lire.
A bientôt
Philippe _________________ pour moi Joe n'est pas mort,c'est simplement la fin sur terre et le début d'une autre carriere ailleurs |
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Michel S. Ami
Inscrit le: 07 Juil 2003 Messages: 92
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Posté le: Sam Oct 29, 2005 5:16 pm Sujet du message: |
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Montoto, merci, c'est un vrai hommage. Vouz avez raconte ce souvenir avec beacoup d'humour et de chaleur... On connait bien le disque de 1974, et c'est donc tres interessant de lire le temoignage de quelqu'un qui a assiste au concert. Par exemple, on a du mal a comprendre qu'est-ce qui se passe pendant "Fais-moi de l'electricite" quand Joe s'adresse a Bruno Coquatrix, et maintenant c'est clair.
Citation: | Comment avait-elle pu oser ? Quelle impudence ! Qui était donc cette petite effrontée qui osait venir déranger mon idole ? J’étais fou de rage…mais surtout de jalousie.
Aujourd’hui j’imagine une Nathalie bientôt quarantenaire avec ce souvenir comme un des plus grands moments de sa vie.
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Oui, moi aussi, j'y ai souvent pense... _________________ Ouais c'est comme ça |
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Bespin Ami
Inscrit le: 30 Déc 2002 Messages: 111 Localisation: Québec
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