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Lors de la naissance de Jonathan, Joe
était dans la tournée au Canada. Puis
il s’était rattrapé: “Nous emmènerons
notre premier-né partout avec nous”
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J'avais rencontré Joe Dassin, il y a quelques semaines, au début de cet été qui devait être le dernier de sa vie. Il était venu chez moi, le plus gentiment du monde, et
nous avions bavardé pendant plus de deux heures. Il était en instance de divorce et se battait pour que le tribunal acceptât de lui confier la garde de Jonathan et de
Julien, ses deux enfants. Nous n'avions pas parlé chansons, gloire et show-bizz mais de choses bien plus graves et j'avais découvert, non sans émotion, la face
cachée et secrète de Joe Dassin. C'était, d'abord, un père, le père de ses enfants, un “ père-poule ” comme je le qualifiai — et il eut un sourire. Pendant deux
heures, il ne me parla que de Jonathan et Julien. De l'injustice trop souvent faite aux pères divorcés. Des rigueurs des lois et des jurisprudences qui, par habitude,
confient mécaniquement la garde des enfants à la mère, même si celle-ci est défaillante et ne peut se révéler qu'incapable d'assumer cette tâche. Il avait accepté de
me parler de ce “problème” non seulement parce qu'il était concerné au premier chef mais parce qu'il désirait surtout qu'à travers son cas particulier fût évoqué un
drame plus général. Il parlait et j'admirais sa “tenue” et sa pudeur. Pas une seule fois, il ne prononça le nom de la mère de ses garçons ; pas une seule fois il n'eut un
mot ou une phrase qui eussent été un jugement; pas une seule fois il n'accusa. Il voulait faire confiance au tribunal et ne désirait pas que son divorce tournât au
règlement de comptes entre deux êtres, sur la place publique. Aussi bien, au journaliste que j'étais, ne demandait-il qu'une chose : expliquer aux gens, à partir du cas
Joe Dassin, combien étaient souvent injustes les lois et sclérosées les mœurs concernant les pères divorcés. “ Pour ce qui me concerne, je peux vous assurer que je
dois et que je veux m'occuper de mes enfants. Depuis des mois et des semaines, me confia-t-il, il ne “ vivait pas ”. “ Je ne dors pas, je ne mange pas, j’ai des
crampes ici (il désignait son estomac), je ne vis pas... Je suis à bout de forces et de nerfs. Je suis crevé parce que je ne suis tendu que vers un seul but dont dépend
la vie de deux êtres qui me sont les plus chers au monde et parce que leur vie est ma vraie vie... ”
L'article que je lui consacrai parut et j'avoue que j'avais oublié à quelle date devait être prononcé le jugement tant attendu lorsque je reçus, une quinzaine de jours
plus tard, un coup de téléphone. “C'est Joe Dassin. Excusez-moi de vous déranger mais je sors à l'instant du palais de justice et voilà... j'ai gagné! J'ai tenu à vous le
dire aussitôt. J'ai gagné. Le tribunal me confie les enfants...”. “Vous êtes heureux?” lui dis-je. “ Non. Très heureux. Je suis fou de joie. Absolument fou de joie. Je
renais.”
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Joe qui était de confession israélite,
avait tenu à faire bénir ses deux fils
selon les rites juifs.
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Le hasard est espiègle. Alors que de ma vie je n'avais rencontré Joe Dassin qu'une fois et cela volontairement afin d'écrire sur son “problème”, voici que quelques
jours après son coup de téléphone, nous sommes dans le même restaurant, à quelques tables d'intervalle. Il me salue, me f ait le V de la victoire et, à la fin du repas,
vient me serrer la main. “ Encore à Paris?” “ Oui... Et vous ?” “ Je pars pour Tahiti me reposer. J'en ai besoin, vous savez. Je renais mais maintenant j'ai le
contrecoup de ces jours, de ces nu ils et de ces semaines où je me suis mangé les sangs. Enfin, ça y est. Nous sommes sauvés...” “ Nous?” “ Eh bien oui, Julien,
Jonathan et moi...” “Vous les emmenez à Tahiti?” “ Plutôt cent fois qu'une ! Comment voudriez-vous que je sois heureux et me repose sans eux?”.
Et ce matin, j'ai entendu, à la radio que Joe Dassin était mort, là-bas, à Tahiti. A l'autre bout du monde. J'ai pensé à lui avec amitié et tristesse. J'ai aussi pensé à
deux petits garçons, désormais orphelins d'un père qui était fou d'amour pour eux. J'ai pensé que tout ça était trop bête et trop triste. J'ai eu une brève colère et j'ai
juré. Ça n'a servi à rien. Et le type de la radio disait : “ Le chanteur Joe Dassin... ” Et moi, je disais : “ Mais non ! Ce n'est pas le ñhanteur Joe Dassin qui est mort !
On s’en fout du chanteur ! C’est le père de Julien et de Jonathan qui est mort et ça c’est affreux. ”
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Le 18 juin, la tentative de concilation
au Palais de Justice de Versailles
échouait. A force de lutte Joe devait
finir par obtenir la garde de ses fils.
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Il avait cru trouver le bonheur parfait en épousant, au début de l'année 1978, Christine Delvaux. Elle était sa seconde femme. De son premier mariage, secret, avec
Maryse Massiera, il n'avait pas eu d'enfant. Christine allait exaucer le souhait le plus cher de son mari en lui donnant deux fils: Jonathan, né le 14 septembre 1978, et
Julien, venu au monde le 22 mars 1980. Au début de son union avec Christine, Joe était fou de joie. Quand Christine fut enceinte pour la première fois, il rayonnait
de bonheur. Mais les histoires d'amour-passion sont parfois aussi fugaces qu'elles ont été violentes. Bientôt éclatent des disputes. Avant même la naissance de son
second fils, Joe comprend que son mariage est voué à l'échec. Mais il attendra que le bébé soit né pour agir. Quand il engage la procédure de divorce, il ne
demande qu'une chose: qu'on lui laisse ses enfants. La séparation est prononcée en juin. Le jugement définitif n'interviendra qu'en septembre. Mais en attendant, le
chanteur a remporté une victoire. Mesure encore exceptionnelle en France où 4% seulement des pères divorcés gardent leurs jeunes enfants, le juge — une femme,
pourtant — a confié à Joe la garde provisoire de ses deux fils.
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Ses enfants étaient le centre de sa vie. Il
avait choisi pour eux, selon la tradi- tion
famille, des prénoms commençant par la
lettre J. Aujourd’hui, les petits
orphelins n’ont que 19 et 5 mois.
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“ Je suis un papa gâteau... gâteux ”, disait Joe. Le drame qu'il vit pendant de longs mois en se séparant de sa femme ne lui laisse qu'une certitude: il va désormais
vivre pour l'amour de ses fils. tenter de leur épargner les souffrances des enfants de divorcés, reconstruire autour d eux le bonheur qu'il avait cru possible avec
Christine. Pour y parvenir, il a d'abord conquis de haute lutte le droit de les avoir près de lui. Il a voué tout son temps, toute son énergie, à cette bagarre juridique
pour leur garde, allant jusqu'à étudier les lois françaises sur le divorce. Sa carrière était passée ausecond plan: en fait plus rien ne comptait vraiment que Jonathan et
Julien. Maintenant, il voulait se consacrer entièrement à ses fils, s'éloigner de ce milieu du show-bizz qu'il trouvait trop superficiel : il allait faire moins de tournées. Il
vivrait le plus souvent possible à Papeete où il allait se faire construire une maison. La mort n'a pas permis à Joe Dassin de réaliser tous ses projets. Et aujourd'hui
ses fils, qu'il a tant voulu protéger, sont l'enjeu d'une nouvelle lutte. Leur mère les réclame mais la mère de Joe, les a emmenés avec elle loin de Tahiti, en attendant
une décision de la justice. On ne sait pas encore qui s'occupera de ces petits orphelins que leur père a tant aimés.
Il se surmenait, c'est vrai. Comme tous les chanteurs, il en faisait trop, surtout au moment de l'épuisante tournée d'été. Mais il n'y avait pas que la fatigue. L'angoisse
aussi le rongeait. Ses graves problèmes personnels avaient fait de cet homme sain et joyeux un
insomniaque, un grand nerveux. La procédure de divorce, l'inquiétude qu'il ressentait pour ses enfants, avaient fini par saper la santé de Joe Dassin. En décembre
dernier, il avait été opéré d'un ulcère perforé à l'estomac. En juillet il était hospitalisé plusieurs jours pour une crise cardiaque et décidait d'annuler son tour de chant
afin de se reposer vraiment. A la sortie de l'hôpital, Joe a attendu ses fils dans sa maison de Feucherolles : il avait dû les confier à sa femme pendant un mois. Il était
encore très faible, très affecté. Et les coups de téléphone de Christine le torturaient. “ Elle appelait sans arrêt, raconte Carole, une cousine de Joe, de jour comme de
nuit, menaçant de ne pas rendre les enfants. ” Quand Jonathan et Julien lui sont revenus, Joe était à bout de forces, à bout de nerfs. Il n'a pas écouté ses amis qui lui
conseillaient de se rétablir avant d'aller à Tahiti. Il n'a pas voulu entendre ceux qui craignaient que le long voyage — vingt heures d'avion — ne le fatigue. Il est parti
aussitôt avec ses fils et sa mère, Béatrice. Joe Dassin voulait, dans un autre cadre, au calme, au soleil, goûter enfin ce bonheur tant attendu: être père. Il n'en a pas eu
le temps.
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