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Joe Dassin : " Ouf ! enfin des vacances "

- Plouf !

Les gerbes d'eau bleutées forment dans l'air une éphémère dentelle de cristal. Un corps bronzé glisse dans la piscine l'espace d'un instant puis réapparaît le long de l'échelle métallique. Joe Dassin, slip de bain noir et muscles ruisselants, remonte à la surface en rejetant par la bouche un bon litre d'eau.

- Pouah ! Vite, un whisky. Mais sans eau, surtout !

Département du Vaucluse. Auberge de Noves. Deux étoiles au Michelin. Je cours moi-même préparer le whisky souhaité (un réfrigérateur se trouve près des cabines de bain). Ce n'est pas la première fois que je rencontre Joe Dassin, champion actuel de tous nos hit-parades, mais c'est la première fois que je vois ce grand garçon bronzé, décontracté, flegmatique, s'appliquer consciencieusement à ne rien faire. Le Joe Dassin que j'avais coutume de rejoindre en tournée était un chanteur au parfait sens du terme, avec le calendrier fou et le rythme de vie dément que cela suppose. C'était un Joe Dassin contracté, peu disponible, pris entre les galas, les télévisions, les coups de téléphone à sa maison de disques, les rendez-vous de presse successifs et la préparation de nouvelles chansons. Une telle cassure dans la vie de notre numéro trois au référendum est-elle possible ?

- Oui, je prends mes premières vraies vacances, m'avoue l'intéressé en absorbant d'un coup son Johnny Walker carte noire. Depuis trois ans, je travaille comme un dingue, je sillonne la France, je passe mes journées dans des studios enfumés ou dans des avions qui ne valent guère mieux. La liberté, le grand air, la disponibilité, la détente : autant de mots dont j'avais oublié le sens.

- En somme, Joe, tu prends des vacances de vedette !...

- Appelons ça comme tu veux ! Pour moi, cette escale à l'auberge de Noves vaut tous les contrats du monde. Je peux te dire une chose, et d'autant plus librement que je suis américain : la France, par ses vignobles et par ses relais de campagne, est le plus merveilleux pays du monde. J'essaie d'en profiter pendant quelques jours avant de retourner à ma vie de " bohème de luxe " !

Pour premiere escale de vacances, Joe aurait pu tomber beaucoup plus mal. Il faut dire qu'il est un aventurier avisé : il a appris à connaître la France par ce qu'elle a d'épicurien et ses choix sont ceux d'un authentique gourmet. Gastronome, sportif, esthète, contemplatif, Joe a deliberement opté pour un lieu qui évoque plus le grand Meaulnes que la conquête de la Lune. A Noves, vous êtes à l'abri du monde et M. Lallemand, propriètaire des lieux, veille au bien-être de ses amis (le mot client, ici, ne signifie pas grand-chose) avec une classe et une gentillesse qu'on aimerait retrouver dans certains palaces constellés d'étoiles. La Provence s'étale à vos pieds avec ses vignes, ses micocouliers, ses vieilles pierres et ses champs de thym.

- Joe, que sont exactement pour toi les vacances ?

- Cela signifie essentiellement rupture avec mon métier et avec le public. Beaucoup de gens s'imaginent encore que la vie de chanteur est faite d'oisiveté comme au beau temps des troubadours. Ce n'est plus vrai depuis des siècles. Aujourd'hui, il faut se battre au sein d'une véritable industrie pour tenir le coup dans la carrière du spectacle. C'est pourquoi - pour l'équilibre personnel - il est indispensable de " décrocher " de temps en temps. C'est cela, les vacances : " décrocher ".

- Autrement dit, Joe, quelles sont les grandes activités dont tu rêves de meubler tes instants de détente ?

- La bouffe... C'est un mot familier, mais qui veut tout dire. La bouffe, c'est extra quand on s'y intéresse autrement que de façon purement alimentaire. Manger est un art, un plaisir, un rite que l'on peut cultiver en France mieux que partout ailleurs. Ici, à Noves, il y a une table formidable. Même avec mon estomac américain, je ne suis jamais insensible au fumet d'un " triomphe du golfe " (omelette de quenelles aux truffes !) ou d'un plat de " moules en écrin ". Côté cave, je suis amateur des grands crus du Bordelais. Clos d'Estournel, Château la Lagune, Château Margaux, Château Ausone, Château Cheval bleu sont des noms qui me ravissent. Et si j'avais le loisir de sillonner la France pendant un mois, c'est une visite des châteaux du Bordelais que je ferais, et pas une visite des chateaux de la Loire ! La France est un des seuls pays ou tous les produits conservent la saveur du terroir. Aux Etats-Unis on bouffe n'importe quoi n'importe comment, et cela n'a aucune importance vu que ça n'a aucun goût. Cela dit, le défaut des vacances gastronomiques est qu'elles font grossir ! C'est pourquoi j'ai pris le parti, une fois pour toutes, de ne pas déjeuner (je " petit-déjeune " à 11 heures, ce qui tient lieu de repas de la mi-journée) pour pouvoir bien dîner le soir. Mais les vacances, ce n'est pas seulement cela. J'ai des tas d'autres passions que je ne peux malheureusement pas assouvir toutes faute de temps.

- Je sais que tu es, comme ton imprésario Charley Marouani, un fanatique de la pêche...

- La pêche... Voilà la seule activité au monde capable de me tirer du lit a 5 heures du matin. J'adore ça aussi bien en mer qu'en rivière. C'est stimulant, tonifiant et tout. La pêche au requin est un sport assez spécial et qui me passionne. Sais-tu comment on procède ? Il faut d'abord attraper une série de maquereaux que l'on transforme en bouillie pour servir d'appât autour du bateau. Et puis il y a le vent, le silence, le soleil... C'est dans ces conditions-là que j'ai découvert l'Irlande, un pays formidable, très proche de chez nous et que pourtant peu de gens connaîssent...

- Ici, en ce moment, tu as plutôt l'air de vouloir t'adonner au farniente qu'à autre chose !

- Tu as raison : j'ai trop peu d'occasion de me baigner et de bronzer pour avoir envie de quitter le bord de cette piscine. Mais il me reste la pétanque pour les fins d'après-midi ! C'est très agreable. Avec mon ami Carlos, qui était ici les jours derniers, nous avons fait quelques belles parties. Je lui ai même gagné ses fameuses bretelles multicolores dont il était si fier. Mais j'ai un projet super excitant pour cet hiver. Au lieu de me plier à un calendrier de dingue sans un jour de relâche, je m'accorderai un mois de liberté. Et sais-tu ce que je ferai ? Je partirai aux Etats-Unis, ou il existe une école de pilotage par cours accélérés. En trois semaines, on peut obtenir le brevet de pilote d'avion. J'ai furieusement envie, depuis quelque temps, de faire de l'aviation de montagne. Se poser sur des glaciers avec un petit coucou, quelle sensation exaltante! Et on peut skier sur des pistes insensées, ignorées de tout le monde, véritablement entre ciel et terre !

- C'est un vrai programme de cascadeur que tu envisages là. Je sais bien que tu es " chamois ", mais quand même !

- Avoue que c'est tout de même mieux que d'aller s'entasser sur une plage de Saint-Tropez avec des snobs parisiens !

Comme pour ponctuer notre discussion, Joe plonge de nouveau dans la piscine, puis ressort aussitôt de l'autre côté dans une gerbe d'écume. Je me trompais : il n'a pas perdu le fil de la conversation.

- Le ski de glacier, c'est féerique, enchaîne-t-il. Tu te fais déposer par le zinc a 3500 metres d'altitude (le zinc est monté sur skis, naturellement !) avec tout ton barda et tu fonces sur les pistes vierges. Ah, il faut être super-équipé : chaussures spéciales à crochets, skis métalliques, boîtes de conserves, anorak, peaux de phoque, réchaud à gaz et sac de couchage.

- Tu veux dire qu'il faut coucher " là-haut " ?

- Naturellement, c'est ça le sport. Mais c'est grandiose, mon vieux. Et tu vides tes poumons de toute la crasse qu'ils emmagasinent à Paris.

- Quand même, décoller et atterrir sur la neige, ce doit être angoissant !

- Impressionnant plutôt. Il faut prévoir le redécollage immédiat éventuel et, par conséquent, choisir un glacier en pente, soit pour freiner, soit pour reprendre de l'accélération. Ne t'en fais pas, quand j'aurai mon brevet, je t'inviterai à venir avec moi !

- Euh... En attendant, je préfère être ton partenaire à la pétanque, ou même au poker. A propos, es-tu un amateur de jeux de cartes ? C'est une chose dont tu ne m'as pas parlé.

- Je ne suis pas un joueur. J'aime jouer de temps en temps pour le plaisir, mais jamais systematiquement et pour gagner de l'argent. Je ne suis pas Omar Sharif ! Et d'ailleurs, j'envie plus son écurie de chevaux que son talent au bridge.

- C'est vrai que tu es aussi, Joe, un excellent cavalier, d'après ce que j'ai entendu dire.

- Bah ! Je pourrais te dire que j'ai des ancêtres Cheyennes ou cow-boys, mais à quoi bon ? En fait, j'ai toujours aimé les chevaux et j'ai appris très jeune à monter. Je ne suis pas un cavalier très academique, mais je me débrouille bien pour la monte à l'indienne et pour le lasso. Note bien que je n'ai pas fait ça depuis plusieurs années, j'ai sûrement perdu un peu la main.

- Joe, ne gardes-tu pas un peu la nostalgie de ton pays natal, les Etats-Unis ?

- Nostalgie, non. J'adore la France et c'est encore, quoi qu'on en dise, un pays où il fait bon vivre. Mais j'aimerais pouvoir retourner régulièrement en Californie. Là-bas, beaucoup de choses changent grâce à la jeunesse et il serait très intéressant d'étudier le phénomène en profondeur. Je n'oublie pas mes vieilles notions d'ethnologie... Je pense que, malgré les photos que vous avez déjà publiées, il y a encore des reportages passionnants pour " S.L.C. " à faire là-bas. Il y a aux Etats-Unis des millions de choses à voir et à comprendre, toutes plus fascinantes les unes que les autres. Peut-être que Daniel accepterait de me prendre comme guide-reporter pour l'occasion, non ?

- C'est une bonne suggestion à lui faire. Il faudra penser à ça pour tes vacances prochaines. Revenons au présent, Joe. Que vas-tu faire à la rentrée ? As-tu de grands projets ?

- Vous êtes tous les mêmes, les journalistes ! J'avais juré de ne pas parler métier pendant au moins une semaine. Et puis songe que ça pourra faire l'objet d'un autre article...

- Oui, mais l'administrateur du canard, s'il lit cet article-là, va voir qu'il n'y est question que de bouffe, de vins et de pétanque. Il va encore faire grise mine pour règler la note de frais.

- Alors, si tu y tiens vraiment, voici un petit bout de secret : je vais préparer en septembre un tour de chant inédit dans une grande salle parisienne inédite. Ce sera totalement nouveau. Et je suis même prêt à offrir une place gratuite à l'administrateur de " S.LC. ", s'il est si radin que ça ! Bon, maintenant, je refuse de parler de questions professionnelles jusqu'à la fin du mois. Qu'est-ce qu'on disait, tout à l'heure ? Ah, oui.... Figure-toi que ce soir il y a au menu des homards à la nage. Qu'est-ce qu'on va boire avec ça ? Un petit Meursault 64, non ?...

Cette fois, c'est moi qui ai plongé dans la piscine en me marrant.

- Tu sais, dit-il en revenant du petit bar avec trois verres à la main (car Leloup et ses Nikon sont avec nous, bien sûr!), si je ne vous considérais pas comme de vrais copains, je n'aurais pas accepté ce reportage, cette interview et toutes ces photos pour " S.LC. ". Après tout, je suis en vacances, moi !...

Eric Vincent

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